Du yoga à l’Aplomb
édité par Luc de Bailliencourt
“Quand on s’attaque bien indirectement aux intérêts des lobbies, à l’ego des universitaires…, quand on découvre des solutions thérapeutiques alors que la médecine officielle est démunie, alors il faut s’attendre à une riposte sournoise ou frontale.”1
Dr. Jean-Pierre Willem
Pourvu que cette recherche sur l’aplomb humain fasse exception à la règle ! 1958, le thorax est affaissé sur le bassin qui est posé de travers et décambré :
En 1958, on m’avait chargé de suppléer le professeur de yoga dans une grande salle de gymnastique de Paris. Puis dès 1960, j’avais fondé mon propre Institut auquel Iyengar avait donné son nom en 1971. Enfin, l’Institut Supérieur d’A1plomb est né en 1981, au début des recherches d’ethnographie sur le transport des charges sur la tête au Burkina Faso.
En 1959, année ou j’ai enfin pu partir travailler avec B.K.S. Iyengar en Indes, j’avais le dos tellement endommagé qu’il m’interdit de me faire radiographier : “Quand vous verrez dans quel état est votre dos, m’avait-il dit, vous vous saurez fichue et vous ne travaillerez plus pour le récupérer. Queffelec Henri, 1945, Un recteur de l’ile de Sein, Stock, Paris! ”
Il ne me connaissait pas : j’aurais travaillé, et maintenant, nous aurions un point de comparaison fort intéressant qui nous manquera toujours ! Évidemment, il n’avait pas l’habitude des crispations des Blancs et surtout de leur faux aplomb.
Je suis revenue de ces trois mois de travail intensif très droite, avec des articulations débloquées – la sacro-iliaque droite, par exemple ; la gauche commence seulement à s’assouplir maintenant – et d’autres bloquées à tout jamais par excès de tensions ou de pression – l’articulation D12 – L1, par exemple -. J’y ai aussi pris un faux pli par manque de compréhension du vocabulaire du maître : quand il disait “chest up” je me redressais en montant les côtes flottantes et les fausses côtes par une contraction (et non une extension) des extenseurs du tronc qui crée une fausse cambrure en arrière dans les dorsales.La colonne vertébrale, arbre de vie, par laquelle passe le système nerveux central dont l’énergie irrigue jusqu’aux ongles, jusqu’à une petite surface grosse comme une fève sous le pouce du pied ou au dos du talon. Cette colonne vertébrale dont la position permet ou non le mécanisme de base de la respiration qui nous régénère en permettant l’assimilation de l’Énergie grâce à la soumission de nos différents poids à la Gravité.
Pour la philosophie du yoga, l’énergie apportée par les deux canaux de la respiration rencontre dans les plexus celle émise par le cerveau et qui est véhiculée par le système nerveux central ; ces énergies régulent tout le mécanisme vital. Que la colonne vertébrale soit en bon état est donc primordial pour le bien-être et l’harmonie d’un être, sa fusion avec l’Être Cosmique. Il faut donc bien la connaître pour bien la traiter. Hippocrate, ne disait-il pas “Il est nécessaire de posséder une solide connaissance de la colonne vertébrale, car de nombreuses affections sont en effet causées par un état défectueux de cet organe.” 2 Perez-Christiaens Noëlle, 1978, Kuņdalinī Ma, Paris, Institut B.K.S.Iyengar., p106
En 1971 , B.K.S. Iyengar au retour d’un voyage en Angleterre s’était arrêté à Paris pour donner un séminaire dans mon Institut. Il m’avait alors montré que mes élèves n’avaient pas le cou relaxé dans la posture debout sur les épaules (sarvāngāsana = la chandelle en gymnastique.).
En 1972 il était revenu ; il m’avait fait remarquer que tous les cous étaient en effet bien relaxés, mais que, maintenant, dans la même posture, les élèves n’étaient plus sur l’axe. En ce temps (pas si lointain qu’il y paraît), je n’avais pas compris que sur l’axe, chaque être, chaque chose est d’aplomb et que l’équilibre se tient tout seul. Sur l’axe – c’est-à-dire quand on est d’aplomb – tout est en équilibre et tenu par la simple gravité et le tonus musculaire. Nous avons donc, à partir de ce moment-là, placé sous les épaules, une grosse épaisseur de couvertures (les supports qu’Iyengar m’avait donnés pour les postures assises à Genève, en 1965) pour éviter
que n’apparaisse peu à peu une certaine surdité.
1976 était passée avec l’exposition que le Pr.Yves Coppens alors Directeur au Musée de l’Homme y avait organisée sur ‘Les Origines de l’Homme’ ; je suis restée en arrêt devant le fameux tableau comparatif entre les simiens actuels et les homo actuels et la phrase qui, tout en bas du tableau, allait m’ouvrir de tels horizons : “le calcanéum s’épaissit, désormais il recevra tout le poids…” C’est ce qu’Iyengar avait tenté de me faire sentir, mais je n’avais rien compris. Immédiatement, je mis le poids aux talons en creusant mes aines et en reculant le bassin comme pour m’asseoir et je sentis toutes les tensions s’évanouir dans mon dos. En ce temps-là j’étais déjà relaxée, tandis que maintenant, quand on demande à quelqu’un de mettre le poids aux talons, il se recule tout entier comme une planche sans plus sentir l’articulation des hanches et crée ainsi des tensions (freins contre la chute en arrière) dans les trois articulations des jambes.
Et me voici arrivée à la base de mes recherches avec ceux qui portent leur charge sur la tête. Je suis partie au Burkina Faso l’été 1981, y suis retournée à Noël, et en ai ramené ‘ma’ Kouka pour qu’elle puisse faire ses études. Son père avait été tellement gentil avec moi, il m’avait tellement facilité les recherches, que je voulais le remercier en en faisant autant pour elle ! C’est là que j’ai commencé à comprendre l’importance de la cambrure.
Il y eut, comme je l’ai dit, ce séminaire miraculeux où les kinésithérapeutes m’ont dit que mes recherches ne les intéressaient pas parce qu’ils soignaient des Blancs et que je leur apportais des exemples très précis, mais de gens de couleurs : étaient-ils bâtis exactement comme nous qu’ils avaient à soigner ? Dans les années 80, en Europe, il n’y avait plus qu’au Portugal que je pouvais trouver des réponses. Et nous voici arrivé à mes recherches avec les descarregadores de peixe de Setúbal..
Le Pr.Yves.Coppens m’avait aussi mis en contact avec le Pr. André Delmas, professeur d’Anatomie comparée à la Faculté de Médecine de Paris et là, au 8ème étage de la faculté, dans son bureau, son Musée ou sa Bibliothèque, j’ai appris beaucoup de choses ! L’une de nos entrevues devait se passer en 1983, quand j’avais déjà réuni un bon nombre de radios de gens qui portent leur charge sur la tête. Sur toutes ces radios, la cambrure lombaire se trouve entre L5 et le sacrum, et parfois aussi entre L4 et L5, c’est-à-dire très bas dans le dos, tout près du bassin.
Or, après tout ce travail de terrain, le besoin s’était fait sentir de réétudier la physiologie articulaire pour contrôler et comprendre d’une part, les sensations que B.K.S. Iyengar m’avait fait sentir et ce que je voyais sur les radios… et ça ne concordait pas avec les livres, pas du tout même !
J’avais donc retéléphoné au Pr. Delmas pour lui demander un rendez-vous et lui confier mes troubles : “K. place la cambrure en L3 ? répéta-t-il, c’est impossible, c’est un de mes élèves !” -“Je vous apporterai son livre quand vous voudrez”, lui avais-je répondu. -“Eh bien il se trompe ! L3 fait déjà partie du tronc, de l’arbre droit et sur elle s’accroche des organes, elle ne peut pas faire partie de la cambrure ; celle-ci se place toujours entre L5 et le sacrum, parfois aussi entre L4 et L5, jamais plus haut, c’est anatomiquement impossible et physiologiquement dangereux ; sur la partie supérieure de L4 repose L3 qui ne fait plus partie de la courbure lombaire.” C’était clair !
Le Pr.A.Delmas me prêta sa thèse de doctorat à la faculté de médecine de Toulouse3 dans laquelle il montrait que la première paire de côtes des nouveau-nés, quand on les tient debout, est horizontale. Cela découle du fait que les enfants ont le dos très plat, sans voûte dorsale ce qui donne un thorax très bombé avec un sternum très oblique. Leur cage thoracique est également très bombée en largeur du fait d’une absence totale ou presque de voûte dorsale, celle-là même que les anatomistes actuels nomme ‘voûte primaire’ en référence, je pense, aux simiens.
Miguel à la sortie du travail Eduardo Batata, le cousin de Miguel3
Nous étions déjà en 1986, et Miguel avait accepté de venir à Paris la seconde quinzaine de Juin. Comme tout s’était bien passé, nous lui avons demandé de revenir en novembre pour nous montrer « des choses ». C’est alors que tous les deux, nous sommes partis rencontrer le Pr. Delmas, chargés comme des bourriques, avec, sous le bras, quelques radios entières et les albums des radios des cervicales. Je frappe, nous entrons face au bureau où il était assis ; ça a été très vite : il fixe Miguel et me dit : “Vous avez raison”…avant même de nous saluer, tant le port de Miguel le frappait.
Et puis, il feuillette le dossier des radios cervicales que nous lui apportions et me dit : “Il y en a beaucoup qui ont encore la première paire de côtes horizontale, pas tous, mais beaucoup !”Puis, après quelques instants : “Ce serait intéressant de faire un certain nombre de mesures, mais je n’ai pas les appareils ici.” Miguel n’était là que pour quelques jours et quand j’en ai reparlé plus tard, lors d’un autre séjour, ça n’a pas pu se faire et ça n’a jamais été fait. Le cher professeur est mort, et Miguel ne travaille plus depuis longtemps, il est à la retraite depuis 1999.
Une question se pose donc : le transport des charges sur la tête leur conserverait-il une colonne vertébrale jeune et donc le thorax tellement beau qu’ont les petits ? Car, quand on les observe à un âge très avancé, ils sont encore très droits, très beaux, pourrait-on dire.
Ici Joaqim Argau en retraite donnant un coup de main à Miguel :
Mais je n’ai pas parlé de l’hôpital de Vila Nova de Gaia où un médecin ami d’un de nos amis a catégoriquement refusé l’expérience. “Des cous droits, et donc pathologiques, je peux vous en fournir tant que vous voulez, ici, ils sont tous comme ça”. Ils sont tous comme ça, ils portent tous sur la tête, et ils ont mal puisqu’ils viennent se faire radiographier. Conclusion logique : les cous droits sont pathologiques, du reste n’est ce pas cela qu’on nous enseigne en Faculté de Médecine.
Seconde conclusion : le port sur la tête est donc mauvais puisqu’il fait des cous pathologiques ! Et voilà, tout est démontré et il n’y a aucune issue possible ! On ne pense
même pas à envisager une autre cause de la douleur. Et si tous les cous droits étaient ceux des paysans normaux qui ont gardé les vraies courbures rachidiennes du fait, justement, de la gymnastique fantastique que fait faire le transport des charges sur la tête ?
“Ce qui est le plus difficile à l’heure actuelle, se plaignait Raymonde Bonnefille, palynologiste, lors d’une conférence4, c’est d’emmener les étudiants sur le terrain… Ils aiment l’informatique, faire des statistiques, etc. Le terrain est infiniment plus difficile !”
Quant à Michel Serres, il confirme par ces mots : “Les (sciences humaines) placent une telle distance entre l’homme qui étudie et les autres, et ces autres qu’il étudie, que l’écart ne se comble jamais, que la réciproque n’advient pas. Tintin, au contraire, réduit la distance et fait de l’éloigné et du chassé le proche… Vivrons-nous assez pour que les sciences sociales remplacent une objectivité,souvent inhumaine…